Depuis une dizaine de jours, depuis que la chaîne de télévision américaine CNN a montré une vidéo de vente aux enchères des migrants africains en Libye, c’est l’indignation générale dans le monde entier. Même si les premiers concernés, les Africains, particulièrement les Chefs d’État, gardent un silence incompréhensible à quelques rares exceptions, comme le Président malien, ce qui s’est passé – et continue de se passer – en Libye est humainement inacceptable. Sans banaliser cette affaire, il faut cependant reconnaître que l’esclavage est un phénomène courant en Afrique. Peu de pays en réchappent.

L’esclavage est une pratique attachée à l’histoire du continent africain. Des Arabes d’abord, puis des négriers européens ensuite, ont fait main basse sur le continent noir en développant une traite hautement rentable. La traite négrière est originellement le fait des Arabes qui l’ont pratiquée dès le 7ème siècle de l’ère chrétienne. « L’esclavage des noirs par les arabes est la pire, la plus longue, la plus diabolique et surtout la toute première institution négrière qui fut introduite, initiée, définie et mise en œuvre en Afrique noire » (Kemo infos). Même l’Islam n’a pas aboli cette pratique du temps de Muhammad, ce qui a renforcé les esclavagistes dans leurs commerces humains.

Cependant, la traire négrière a été alimentée par l’implication des chefs africains mêmes qui tiraient grand profit du commerce de leurs « frères ennemis », prisonniers de guerre ou adversaires politiques et surtout les victimes de razzias à l’intérieur des terres africaines. L’Afrique est moralement responsable d’une grande partie des Africains « vendus à l’encan » aux négriers blancs dont on ne pouvait ignorer les intentions vis-à-vis des hommes, femmes et enfants qui leur étaient livrés contre rémunération.

Encore aujourd’hui, l’esclavage est une pratique courante en Afrique. Au Mali existent des groupes humains, les Jons, qui vivant en autarcie, pratiquant le mariage endogamique. Dans une commune dénommée Boron Cissé, dans le cercle de Banamba, en 2ème Région, est un quartier des esclaves dénommé dédaigneusement «Jonbugufiyè » (la foire aux esclaves). Là, les jeunes filles esclaves sont celles qui portent les tam-tams lors des manifestations festives et sont les « bonnes à tout faire ». À Tombouctou existe Bellafarandi, le « quartier des Bellas ». Les Bellas, pudiquement appelés « Tamashaqs noirs », sont les esclaves des Tamashaqs blancs qui les emploient sans contrepartie autre que « la protection » qui leur est offerte en cas d’attaque extérieure.

À Bamako, à la gare routière de Sogoniko, juste à côté du portique, est assise quotidiennement une dame qui « place » les aide-ménagères chez des clients, de très jeunes filles, avec une commission de 10.000FCFA par jeune fille. Ces aides ménagères n’ont pas d’horaire de travail défini. Elles sont les premières levées et les dernières couchées, et sont employées pour toutes choses, sans repos hebdomadaire, avec un salaire oscillant entre 7500 et 15000FCFA, très en deçà du Smig malien qui est de 40000FCFA. En flagrante violation des lois maliennes, des jeunes filles de 12-13 ans sont employées comme nounous ou vendeuses ambulantes.

La situation n’est pas meilleure ailleurs, notamment en Mauritanie où l’esclavage est endémique et concerne les populations noires. Suivant que l’on soit blanc ou noir, la justice mauritanienne n’est pas distribuée de la même manière. Et les antiesclavagistes sont régulièrement l’objet de répression sans que l’Union africaine élève la moindre protestation à plus forte raison une condamnation. Pas plus tard qu’hier soir, une chaîne de télévision française a fait passer un reportage où l’on voit de très jeunes filles béninoises soumises à un esclavage connu et accepté de tous. Là ce sont des filles âgées de 5 à 13 ans qui sont vendues par leurs parents pour servir comme vendeuses ou aide-ménagères dans les villes comme Parakou. La plupart d’entre ces jeunes filles, qui travaillent entre 10 et 14 heures quotidiennement, sont maltraitées et privées de nourriture si le commerce auquel elles sont employées ne marchent pas ou en cas de pertes d’argent.

Cette situation est loin d’être marginale. Elle est courante dans la plupart de pays africains. En effet le trafic d’enfants est très courant sur le continent. Les parents des victimes mettent en avant l’extrême pauvreté pour justifier la pratique, comme ce père qui explique que l’argent de la sœur placée servira à scolariser ses petits frères (ce sont les garçons qui sont toujours privilégiés). Ce qu’elle gagne, elle ? Elle sera, un jour, prise en charge par les petits frères quand ces derniers réussiront !

Comme on le voit, la vente d’esclaves noirs africains en Libye est un esclavage qui en cache un autre. C’est la médiatisation par une chaîne américaine de renommée internationale et la vente aux enchères qui ont provoqué le tollé de la communauté internationale. La vente d’esclaves africains en Libye n’est pas plus immorale que le pillage systématique des pays africains par les multinationales occidentales avec les complicités des responsables africains. Notre monde est un monde inique qu’on essaie, par ONG interposées, de lustrer pour se donner bonne conscience. Quand 20% de la population mondiale détient 80% de la richesse du monde, il faut vraiment être cynique au plus haut point pour faire croire de s’émouvoir outre mesure d’une pratique ayant eu lieu dans un pays qui échappe totalement à l’autorité reconnue par la communauté internationale.

Quoi qu’il en soit, il appartient aux Africains en premier lieu de prendre leurs responsabilités. L’Afrique ira beaucoup mieux si elle décide de se regarder en face et de dénoncer partout sur le continent les pratiques qui déshonorent l’Homme noir. Aussi longtemps que les Présidents du continent noir seront les premiers traitres à leurs pays, l’Occident n’aura aucun scrupule à piller les ressources africaines et appauvrir les Africains. Il faut que l’UA cesse d’être cette organisation « tam-tam » comme le disait le Roi Hassan II du Maroc, pour consacrer tous ses efforts au développement du continent noir. À commencer par cette aberration qu’est la « non-ingérence » dans les affaires des pays qui autorise tous les abus.

Il faut protester contre la Libye mais également contre Paul Biya qui monopolise le pouvoir au Cameroun depuis 3 décennies, contre Joseph Kabila et Pierre Nkuruziza qui refusent de s’en aller après la fin de leur mandat constitutionnel, contre Faure Gnassimbé, Denis Sassou Nguesso, Thérodoro obiang Ngéma dont la famille pille les ressources de la Guinée Equatoriale. Il faut condamner tous ces présidents qui tripatouillent la Constitution de leur pays pour se maintenir au pouvoir.  Mais il faut être naïf pour croire que cela est une chose possible de nos jours. Autant dire que nous sommes condamnés, pour longtemps, à être asservis par le reste du monde. Car les Africains sont aujourd’hui esclaves de leurs propres dirigeants.