[Dossier] Il y a trois ans, l'épidémie du virus Ebola débutait en Guinée
Cela fait trois ans que l’épidémie d’Ebola se déclenchait près de Guéckédou, dans le sud-est de la Guinée Conakry. C’était la première fois que ce virus, découvert en 1976 en RDC, faisait son apparition en Afrique de l’Ouest. Ses flambées s’étaient jusqu’à présent circonscrites dans des zones rurales d’Afrique Centrale. Mais cette fois-là, l’épidémie prenait une ampleur inédite, faisant plus de 11 300 morts dans dix pays différents, principalement la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. Aujourd’hui terminée, elle laisse derrière elle des pays très touchés aux niveaux sanitaire, économique et psychologique.
L’épidémie commence timidement. Quelques cas dans une zone rurale de Guinée fin 2013. Un vétérinaire se souvient du début de la crise : « Le premier cas est en décembre 2013. C’est un enfant de deux ans, qui s’appelait Emile Ouamouno. Il présentait les symptômes du palu, donc les gens ont pensé que c’était le paludisme. L’enfant est décédé. Et deux jours après, sa maman, qui était en grossesse de six mois, avorte. Les matrones qui ont assisté à l’avortement de cette femme, également décédée au poste de santé, ont trouvé la mort dix jours après. »
Trois mois plus tard, le virus est identifié. Le virus Ebola a déjà fait 67 morts et se propage au Liberia fin mars 2014, puis à la Sierra Leone en mai. L’épidémie se répand comme un feu de brousse. C’est la panique face à ce virus que personne n’a jamais vu dans la région.
Fin juillet, l’organisation MSF, qui jusqu’au bout restera en première ligne du combat, parle d’un phénomène « sans précédent et hors de contrôle ». Le vétérinaire qui a vu naître l’épidémie en Guinée forestière se rappelle qu’« à l’époque, personne ne connaissait les mesures de précaution : l’alcool, les gants, etc. Donc les gens mouraient et puis on continuait à enterrer les morts, les malades… Le système de défense n’était pas là. »
Mesures d’exception
Des malades sont enfermés chez eux par leurs proches. D’autres meurent dans la rue. Dépassés, les soignants se font infecter ou fuient. Les systèmes de santé, déjà fragiles, s’écroulent. Le manque d’hygiène, ajouté à des funérailles hautement contagieuses, ne fait qu’empirer les choses. Des mesures d’exception sont alors prises : état d’urgence, confinement, crémations obligatoires, fermeture des frontières.
Le 8 août 2014, l’OMS décrète une « urgence de santé publique mondiale » et demande une « réponse internationale ». Beaucoup trop tard disent les experts. L’aide internationale se déploie en masse alors que les premiers morts sont enregistrés en Europe et aux Etats-Unis. Des traitements expérimentaux sont également testés et fin 2014, la décrue commence.
Si quelques flambées sont enregistrées régulièrement, la tendance continuera jusqu’à la fin de l’épidémie. Il y a quelques jours, un vaccin d’origine canadienne a été déclaré « jusqu’à 100% efficace » contre le virus.
Les survivants face à la discrimination
Sur 28 000 cas déclarés, 11 000 sont décédés. Alors que fin mars 2016, l’Organisation mondiale de la santé annonce que la flambée Ebola ne constitue plus une urgence de santé publique, que sont devenus les survivants ?
A Donka, l’un des principaux hôpitaux publics du pays, les tentes du centre de traitement Ebola ne sont plus fonctionnelles. Il y a deux ans, Ibrahima Savané a passé une semaine dans ce CTE. Il fait partie des premiers guéris d’Ebola.
« Il y avait beaucoup de gens qui évitaient la famille. Même ceux qui venaient puiser de l’eau chez nous. On a vécu tout ça. On a même vu des voisins qui fermaient leurs fenêtres, se souvient-il. Mais au fil du temps, le peu de personnes qui osaient venir vers nous, on leur expliquait. Ils relayaient l’information au niveau de la communauté et, petit à petit, la stigmatisation a diminué. »
« C’est pas facile, mais la vie continue »
Aujourd’hui, l’épidémie est officiellement terminée depuis plus de six mois. Alors que certains ont tout perdu, d’autres ont repris leur place et leur activité, mais non sans difficulté. Abdoulaye Touré, stagiaire en médecine, raconte que son retour à une vie normale a été très compliqué.
« Dans la structure où j’ai contracté l’épidémie, certains médecins disaient que pour consulter un patient guéri d’Ebola il fallait porter deux paires de gants. Dans les autres structures où je suis parti, les personnes ne savaient pas que j’étais guéri du virus Ebola. Il faut d’abord reconnaître que tu es une personne guérie. C’est une des failles les plus difficiles pour ne pas contribuer à s’auto-stigmatiser. C’est pas facile, mais la vie continue. »
Traumatisme
Ebola a tué plus de 2 500 personnes en Guinée. Presque autant ont survécu au virus. Le docteur Moustapha Diop, professeur à l’université de Sonfonia, estime qu’Ebola a « traumatisé la société guinéenne ». Un traumatisme qui s’est manifesté avant tout par une grande méfiance.
« Il y a eu beaucoup de pertes d’emploi également. On a eu beaucoup de cas qui ont entrainé des discriminations. Les gens ne voulaient pas travailler avec eux, se méfiaient, prenaient leurs distances », explique le directeur du Laboratoire d’analyse socio-anthropologique de Guinée (Lasag).
A l’heure actuelle, « des programmes très importants ont été mis en place pour la prise en charge des malades guéris d’Ebola », rapporte le docteur Diop, qui souligne aussi le rôle essentiel des associations : « Ces malades ont constitué des associations qui les accompagnent, qui les aident. Il y a eu beaucoup d’orphelins qui sont pris en charge par ces associations. Et le gouvernement guinéen aussi se bat de plus en plus pour qu’il y ait plus de solidarité vis-à-vis de ces catégories sociales. »
Les leçons d’une crise
Aujourd’hui, Moustapha Diop estime que deux leçons fondamentales doivent être tirées de cette crise. « Ebola a mis en évidence un besoin de développement local dans ce pays. Un développement au niveau des structures de santé, au niveau de l’accès à l’école. » La seconde leçon, pour le professeur Diop, c’est celle d’apprendre à anticiper et prévenir : « Et on s‘est aussi rendu compte que les dispositifs de santé sont très fragiles. La recherche fondamentale n’est pas privilégiée. Donc on est souvent surpris, et on n’anticipe pas. »
Afin de mieux anticiper, de ne plus être surpris, la Guinée a notamment mis en place des systèmes de surveillance locale, communautaires, qui se basent essentiellement sur le rôle central des femmes, constituées en réseau. Un moyen de rester vigilant, explique l’anthropologue Julienne Anoko, qui s’est rendue à plusieurs reprises en Guinée pour l’OMS afin d’accompagner les populations.
« Les populations ont envie de tourner la page. En Guinée, ils ont célébré la fin d’Ebola comme jamais. Mais la donne est toujours de maintenir la vigilance. Les autorités de Guinée ont mis en place des systèmes de surveillance épidémiologique, où, dans une famille, on a essayé de placer un point focal de la surveillance communautaire. Surtout les femmes, qui sont en charge de donner les soins à la famille, mais aussi de faire la nourriture, de veiller à ce que les enfants se lavent les mains. On utilise aussi beaucoup ces réseaux de femmes dans leur monde de conversation : « ta famille, ton voisin, ta maison, etc ». Donc c’est ça ces réseaux qui sont mis en place pour la surveillance à base communautaire. Mais les populations ont hâte de tourner la page, de vivre, revivre. »
■ Le Liberia, toujours fragile
Le Liberia avait eu le plus grand nombre de victimes avec environ 4 800 morts. George Williams est
le secrétaire général de l’Association des agents de santé. Il s’alarme de la faiblesse récurrente du système de santé au Liberia.
« Si une nouvelle épidémie survient, elle aura à nouveau beaucoup de conséquences. Le pays manque de volonté politique. Le secteur sanitaire est toujours aussi pauvre et il n’y a pas le nécessaire pour faire face à n’importe quelle épidémie. Par exemple, des systèmes de triage des malades ont été mis en place dans les structures sanitaires. C’est bien. Beaucoup d’agents ont également reçu des formations. Mais quand on réfléchit en termes de système, il n’y a pas ce qu’il faut pour le maintenir à niveau. »
« Le stock de matériel amassé pendant Ebola commence à s’épuiser et personne ne semble s’en inquiéter. Par exemple, si vous allez à l’intérieur du pays, les centres de santé n’ont plus de médicaments. Les malades doivent se soigner eux-mêmes. On va créer un institut de santé publique mais je suis méfiant car ces structures sont toujours sous-financées. Il faut un soutien réel », insiste George Williams.
« Les Libériens sont maintenant sensibilisés, mais ils n’ont pas l’aide et les structures nécessaires. Comme Ebola est parti, la vigilance a baissé. Il faut de nouveaux programmes radio pour éduquer ce pays où vivent 80% d’illettrés. Il faut des rappels constants. Aujourd’hui on pense que tout va bien, mais il y a toujours une probabilité qu’Ebola revienne. »
Source : RFI